Dîner suisse

Il y a bien un mystère sur la variété et la profusion des ingrédients disposés sur la table. Mais il est vite éludé. Pour que la magie soit, il faut qu'une fée soit passée par là. Sous cette apparente inorganisation et spontanéité, il y a la main attentive et prévoyante de ma mère. On le sait sans le dire, sans se l'avouer comme si nous voulions garder la fierté d'être le seul maître de cette composition qui n'attend que la langue et le palais pour qu'en soit révélée la saveur.

Mais soyons tout à fait honnête, derrière chaque mets cuisiné, chaque assortiment, il y a un peu de la touche de ma mère. Dans chaque bouchée, il y a un peu de sa tendresse distillée. Toutes les mères du monde pourraient faire un "dîner suisse", il ne serait jamais aussi savoureux que le sien.

On humecte ses lèvres sur le bord du bol de thé encore trop chaud. On reprend du saucisson. Les vacances sont loin, et pourtant, quand on croque dans la tartine de pain, il y a un peu du chemin de montagne où nous nous étions arrêtés l'été dernier, avec le brin de bruyère qui piquait les fesses et l'ombre des grands pins qui soulageait les coups de soleil.

L'assiette est vide. On a trop mangé, avide de tout, on n'a pas su tempérer ses ardeurs. On finit le repas le ventre un peu lourd, mais heureux. Heureux, au point de se dire que les repas ordinaires sont d'une banalité ennuyeuse et que les jours vont être longs jusqu'au samedi suivant.

 

octobre 1997