Sous les Pavés, la plage

Il devait être plus de minuit ce 31 mars 2035, j'étais sur l'autoroute AZ 1043. I1 pleuvait et le vent était si fort qu'il déportait la voiture violemment de droite et de gauche. Je me demandais ce que je faisais là. En fait, j'étais parti de Paris après mon boulot pour aller voir la mer où ce qu'il en restait. Je connaissais un petit coin sympa où l'on pouvait encore respirer l'air des moules et enfoncer ses pieds nus dans le sable mouillé. Il fallait absolument que je rentre à Paris pour un rendez-vous au quartier Latin que j'avais pris la veille.

A côté de moi, il y avait le vieux - un type ivre que j'avais dû emmener parce que le café fermait. Il cuvait son vin d'un ronflement bruyant et pénible et dégageait une odeur puante qui emplissait tout l'intérieur de la voiture, à tel point que j'avais dû baisser la vitre malgré la pluie et le vent. Derrière moi, penchée sur le dos de mon siège, il y avait Annie : une fille que j'avais prise en stop avec sa petite sœur à l'entrée de l'AZ 1043. Elle n'arrêtait pas de parler. Elle m'énervait un peu à reprendre toujours les mêmes expressions du genre « sans compter que » ou « disons que » alors qu'on ne lui demandait rien. A côté, sa soeur, en plein dans mon rétroviseur, figeait son regard flou dans le vide en fumant clope sur clope, ce qui n'arrangeait rien à l'odeur dégueulasse qu'on respirait dans cette bagnole. La voiture fonçait malgré la pluie qui s'accentuait. Dans l'obscurité de la voiture, le carillon d'une radio périphérique retentit. Il devait être une heure ou peut-être deux...

J’ai élevé le volume de mon auto-radio pour faire comprendre à Annie qu'elle se taise un peu. Ça a éveillé le vieux qui a poussé un grognement et s'est rendormi aussitôt. Le speaker avait une voix un peu étrange, un débit haché, bizarre. Après quelques formules de politesse, il annonça que l'heure de l'alerte générale avait sonné : des microprojectiles nucléaires avaient été repérés et que le centre de la France se trouvait en danger. Tout le monde devait rejoindre son lieu de protection attribué dans les abris anti-atomiques collectifs. Dans la voiture, la gamine assise à côté d'Annie a éclaté d'un grand rire et a détaché son regard fixe.  Annie a crié des onomatopées aiguës, elle a dit qu'elle voulait absolument voir ça. Le vieux n'a pas bougé. Je crois même qu'il n'a pas entendu. Le speaker a ajouté qu'il ne fallait en aucun cas céder à l'affolement mais au contraire faire preuve d'un certain sang-froid.